L’art de tisser dans le creuset traditionnel du Fouta Djallon

Article : L’art de tisser dans le creuset traditionnel du Fouta Djallon
Crédit:
6 janvier 2023

L’art de tisser dans le creuset traditionnel du Fouta Djallon

En Guinée, dans le massif montagneux du Fouta Djallon, les tisserands (mabobhe) sont ceux qui habillent la communauté. Jouant un rôle social moteur, leur métier à tisser sert à transformer le résultat du filage des femmes en tissu.

Crédit : Cirad

Petit aperçu historique

La présence des tisserands au Foutah remonte presqu’à la sédentarisation des peuhls venus du Macina pour s’y installer. L’activité de tissage était pratiquée par certains héritiers des habitants de cette partie de la Guinée : les Djallonkés, considérés comme les premiers habitants des lieux, bien avant que les marabouts peuhls n’y fassent régner l’Islam au XVII ème siècle.

Le Fouta n‘était pas une terre de culture de coton dans le sens de la production à grande échelle, le coton était obtenu soit par importation des régions chaudes de la haute Guinée ou expérimenté dans quelques champs locaux.

À lire aussi : Le ’’tunni’’ : Cette merveilleuse flûte pastorale dont on ne sait pas grand-chose de nos jours

Composition du métier à tisser en usage au Fouta Djallon

Un métier à tisser se compose d’une navette (kouloundein ou kouroundein petite pirogue en maninka), de la trame (kafka), les lamelles (niiri) permettent de fixer les fils et le support ou point de départ du métier à tisser (korondo) est très souvent un assemblage de pierres qui permet de tendre le fil à tisser.

Métier à tisser situé à Popodara
Crédit photo : Ousmane Tounkara

Traditionnellement, ce rôle est dévolu à l’épouse du tisserand qui devait servir de soutien à l’installation mais vu qu’elle devait souvent vaquer à ses affaires, il fallait qu’il y ait un autre pilier de soutien (‘’koo rondo’’ littéralement en pular) pour porter la charge ou le fardeau.

De façon isolée, dans les accessoires du métier à tisser, il y a aussi une sorte de bobine (mantagare) où le fil du tissage est savamment enroulé avant le travail (ka dororte).

La place du tisserand dans les croyances locales

Traditionnellement, les tisserands ont pour rôle d’habiller la communauté, ce n’est pas pour autant qu’ils ne jouent pas un rôle social autre et non de moindre importance.

Du travail de tissage, certains présages peuvent être interprétés et permettent de maintenir certains équilibres sociaux. En guise d’exemple, lorsqu’un tisserand entame le tissage d’une étoffe, ceux qui pouvaient interpréter les événements marquaient une pause jusqu’au démarrage de son activité. Le premier morceau de tissu d’à peine quelques doigtées était sollicité et devait servir à garantir les succès dans toutes entreprises à suivre.

De la même façon, quand un nourrisson tardait à marcher dans le village, le même genre de tissu issu des premiers coups de pédale du tisserand était utilisé pour provoquer le ‘’départ’’ du nourrisson (tonguitougool).

Les produits du tissage dans le contexte du baptême au Fouta

Appelé communément pagne indigo, le leppi est un pagne représentant l’ethnie Peul par excellence. Originaire du Fouta, il est considéré selon la tradition comme un talisman contre les sorciers.

Lors des baptêmes traditionnels au Fouta Djallon, la famille de la parturiente fait souvent cadeau au gendre d’une étoffe complète de leppi, étoffe qu’il utilisera à sa guise soit pour se vêtir ou s’il le veut il peut en faire cadeau à une tierce personne.

À lire aussi : Le 8 mars a le visage de ma mère

Le leppi était aussi utilisé pour maintenir le bébé à califourchon sur le dos de la mère et ce contact entre la mère et son enfant était considéré comme la clé de la force mentale et physique de l’enfant. Dans les joutes infantiles, pour exciter leur courage, l’adversaire qui tenait le plus au combat lançait alors :

Texte original

« Si taawi ko a bambiradho  woudere leppi ar etein… »

Traduction

« Si ta mère t’a porté à l’aide d’une étoffe tissée viens te mesurer… »

Les produits du tissage : une attraction culturelle d’envergure

De nos jours, une forte conscience culturelle s’est opérée au point où les toges de certains étudiants lors de leurs cérémonies de couronnement sont taillées dans du ‘’leppi’’.

Aussi, certaines personnalités politiques ou culturelles dont les reines de beauté s’affichent de plus en plus drapées dans les étoffes traditionnelles. Sans compter que de loin, les étrangers qui visitent la Guinée ont un véritable coup de cœur pour ce tissu qui est le fruit d’une longue chaîne de travail. Il implique un parterre d’artisans qui mettent en commun leur génie et leur dextérité ainsi que leurs diverses techniques de travail.

Le chanteur guinéen Black M portant un costume en leppi
Crédit : Pagnific.com

Ces dernières années, les étoffes des tisserands s’invitent aussi fortement dans la décoration d’intérieur des hôtels, restaurants et autres musées.

🧠 À savoir : les recherches convergent sur le fait qu’une large proportion de femmes filait le coton d’antan (environ 60%). Ce travail de filage, minutieusement mené par elles, permettait d’alimenter les métiers à tisser locaux.

Le tissage traditionnel : un métier à l’épreuve des spéculateurs

Mannequin du musée du Foutah
Crédit photo : Ousmane Tounkara

En temps normal, une étoffe de leppi oscille entre 350 et 400000 FCFA pour le prix d’acquisition.

Mais, en 2020, mine de rien, ce prix s’est affolé de façon exponentielle. Pour cause, des spéculateurs ont décidé de s’interposer entre les tisserands et les marchands qui venaient s’approvisionner chez eux à l’occasion du ‘’Donkin leppi’’, une initiative qui visait à mettre en valeur le leppi en le faisant porter par tout le monde le jour de la fête de tabaski 2020.

À lire aussi : Quelques coiffures oubliées de l’aire culturelle peuhle du Fouta Djallon

La surenchère avait finalement eu raison de cet évènement à la visée pourtant noble, et la pluie diluvienne qui s’est abattue sur une bonne partie de la Guinée ce jour avait fini par doucher les espoirs et l’élan amorcé.

Étiquettes
Partagez

Commentaires