Silence! On assassine la nature

Article : Silence! On assassine la nature
Crédit: Tkillah Tounkara
1 octobre 2024

Silence! On assassine la nature

Année après année, la belle nature du Foutah Djallon se perd, vaincue par les intérêts égoïstes de certains prédateurs. Armés de machettes, de haches ou de tronçonneuses, ils agressent la nature. Ainsi, des hectares entiers de forêts mordent la poussière sous l’effet de quelques actions humaines. Conséquence, la canicule prend droit de cité et chasse le doux climat d’antan, la chaleur se fait suffocante et le Sahel gagne du terrain.

Le Foutah Djallon est l’une des quatre régions naturelles de la Guinée. Elle est surnommée le Château d’Eau de l’Afrique de l’Ouest grâce aux nombreux cours d’eau qui l’innervent. La zone concentre l’essentiel des chutes d’eau qui attirent les touristes : Kinkon, Kambadaga, Ley Celloun ou encore les célèbres chutes de la Saala qui se perdent en une infinie cascade dans la nature.

La capitale régionale Labé se trouve dans cet environnement paradisiaque, nichée entre deux montagnes : les monts Kolima et Serima, respectivement à l’Est et à l’Ouest. D’antan, Labé était parcourue de cours d’eau célèbres comme Sassewol, Donghorawol, Bendekourewol, Beindebawol, Plon, etc. Autant d’endroits témoins des joies, jeux, et plaisirs des citoyens.

Chute de Donso près de Labé. Crédit : Tkillah Tounkara

L’environnement à l’épreuve d’une urbanisation sauvage et effrénée 

Labé, cité de verdure et d’eau autrefois, a rapidement payé le tribut d’une urbanisation accélérée et désordonnée. Celle-ci a généré une prédation des espaces verts et un étranglement des cours d’eau qui phagocytent ces petits coins de paradis.

Les fours à brique et de charbon : un cocktail nocif pour l’or vert

Ces deux pratiques se développent de façon concomitante et impactent l’environnement.

Les briquetiers creusent dans les lits de cours d’eau, utilisent le mince filet d’eau restant dans ces cours d’eau pour malaxer l’argile servant à  la confection des briques. Le plus lamentable est que l’environnement des cours d’eau est détruit pour servir de source d’énergie pour la cuisson et le durcissement des parpaings.

Dans les zones rurales, les surfaces de verdure mordent la poussière, les arbres finissent dans des camions ou calcinés pour l’obtention du charbon de cuisine. Tout ça pour les miettes que les charbonniers tirent de ce commerce.

Des poubelles à ciel ouvert

Ce qui reste des cours d’eau qui irriguaient la ville de Labé est parfois un filet d’eau où les citernes des sapeurs pompiers viennent s’abreuver, quand ce n’est pas les taxis motos qui viennent y laver leurs engins. Du reste, et souvent de nuit, des citoyens en panne de civisme viennent y déposer en catimini leurs ordures. Ainsi y nagent des milliers de sachets plastiques et de couches pour bébé usagées, dont le volume et la puanteur grandissent minute après minute.

À cela, on peut rajouter le fait que l’aménagement des voiries ne prévoit souvent pas de canaux d’écoulement des eaux de ruissellement, chose qui oblige la nature à vite reprendre ses droits.

Poubelle à ciel ouvert en amont d’un cours d’eau. Crédit : Tkillah Tounkara

La prolifération des forages hydrauliques: un acte nocif pour la nappe phréatique 

D’antan, partout au Fouta Djallon, les têtes de sources étaient protégées. On les désignait comme des endroits habités par des esprits qui en étaient les gardiens tutélaires. De nos jours, les têtes de source ont été dénudées et laissées à la merci des férus du foncier qui veulent tout engloutir.

Pour les besoins de la sensibilisation, Hadja Koumanthio Zeinab Diallo, une conteuse locale, a mis en scène deux contes qu’elle utilise pour toucher les esprits jeunes. Ces livres sont : Nos frères les arbres et L’Enfant chasseur. Ce sont des outils pour sensibiliser les consciences vis-à-vis de la dégradation poussée de l’environnement et du rapport de la nature avec l’humain.

La mauvaise desserte en eau a développé les forages hydrauliques, au point où la nappe phréatique est clairement menacée par endroit. Il y a des indices de plus en plus visibles comme la difficulté d’obtenir de l’eau à un certain niveau de forage, ou l’impossibilité d’en avoir du tout.

Dans certaines contrées, l’eau tirée des puits est si pâteuse et boueuse que l’on se demanderait si elle est destinée à être consommée.

Corvée d’eau à Fello koundoua. Crédit : Tkillah Tounkara

Un cas des plus illustratifs : Manga Labé entre rire et larmes

Au cœur des années 80, la ville de Labé n’avait encore ni son peuplement actuel ni cette étendue. Pour les besoins d’électrifier le quartier administratif, un barrage a été installé.

En saison des pluies, le site regorge d’eau, mais en saison sèche, parfois pas une goutte. Au point où au mois d’avril dernier, un jeune de la cité voulant sensibiliser sur la protection de l’environnement s’est glissé au cœur de ce qui était le lit du cours d’eau pour se mettre à jongler avec une balle de foot. Ce cliché d’une nature malade et désespérée est assez fort pour expliquer la déchéance vers laquelle le Foutah plonge, avec des images plus alarmantes les unes que les autres.

En conclusion, la nature est fortement menacée au Foutah et à Labé, et ceux qui l’agressent sont des visages familiers, des visages d’un frère qui a une tronçonneuse, d’une sœur dont la lessive et les couches hygiéniques polluent la nature ou d’un oncle dont le seul focus est l’argent qu’il vendra en écoulant ses lourdes cargaisons de bois ou de charbon.

Nous devons comprendre et cultiver le réflexe de planter des arbres, de garder propre les espaces communs et les cours d’eau et de cet événement d’interdépendance entre météo et environnement. Surtout que la saison sèche 2024 est identifiée comme la plus caniculaire depuis l’année 1951.

Lit du barrage Manga Labé en Avril 2024. Crédit : Tkillah Tounkara
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