Les fiancés du Covid-19

Article : Les fiancés du Covid-19
Crédit:
14 avril 2021

Les fiancés du Covid-19

L’après midi était calme et surtout ensoleillée en ce mois de mars. La proximité de la route d‘avec le domicile conjugal de la famille de Zeinab faisait que les bruits ne s’estompaient jamais dans ce quartier huppé de la capitale. Ces bruits faisaient même partie intégrante du décor désormais.

Dans la famille Bah, l’ambiance était on ne peut plus festive, aux arômes qui échappaient de la cuisine en ce vendredi, n’importe qui aurait deviné le bonheur qui flottait dans l’air.

La famille attendait un évènement heureux, le retour du fiancé de sa fille ainée Zeinab, fiancé qui vivait en Italie depuis 12 ans et qui n’était pas rentré au pays depuis.

Zeinab état une fille modèle après de brillantes études de Droit, elle avait démarré une ONG évoluant dans la protection féminine et s’était progressivement construite une réputation, jamais un mot plus haut que l’autre, les voisins l’aimaient tous pour sa simplicité.

Hamidou, le fiancé attendu, avait croisé sa cousine au hasard d’une rencontre sur les réseaux sociaux, ils avaient continué de correspondre, avaient eu des atomes crochus et les sentiments avaient vu le jour au point que les deux étaient prêts à franchir le rubicond du célibat ensemble, la main dans la main, pour le meilleur et le pire.

Zeinab était formelle, son mariage ne se tiendrait que si son Jules était présent et elle avait convaincu Hamidou de faire un effort, chose qu’il avait acceptée après de longues tractations.

Dans cette acceptation, la seule chose qu’Hamidou n’avait pas souligné est la pandémie du coronavirus, qui touchait déjà rudement l’Italie. Celle-ci avait fortement aidée à reconsidérer sa position. La peur du confinement, alors à l’étude dans ce pays, a aidé le jeune homme à se décider, d’autant plus qu’il fallait vite agir pendant que les vols internationaux n’étaient pas encore suspendus.

Hamidou avait vu tellement de cas et d’amis touchés, parfois même mortellement, que la psychose l’habitait lui aussi.

Donc, officiellement, Hamidou venait pour convoler en juste noces avec sa belle Zeinab et revoir sa famille. Mais officieusement, il venait échapper aux mesures de confinement qui n’allaient pas tarder en Italie, parce qu’être confiné, pour une personne normale, est égale à faire de la prison.

Le jeune homme devait arriver par le vol d’air France de 19 h et pas un membre de la famille de Zeinab n’avait  voulu se faire conter les retrouvailles des deux tourtereaux.

A 17 h, déjà sur leur 31, Zeinab et les siens étaient dans la salle d’attente de l’aéroport de Kanaky. A voir la belle, on sentait la feinte nervosité qui la submergeait.

Aux 4 coins de la pièce, des télévisions à écran plat diffusaient des informations sur la pandémie, les chiffres actualisés, les pays les plus touchés et les comportements à épouser.

Bien que le pays n’avait pas encore pris de mesures drastiques particulières, dans tout l’espace aéroportuaire on pouvait distinguer des kits de lavage de mains et à intervalles réguliers, des speakers crachaient les démarches protocolaires à suivre pour éviter toute contamination.

Zeinab regardait certes, mais avait son esprit ailleurs, elle regardait juste pour tuer l’ennui. Son esprit et son cœurs étaient pleinement orientés vers celui qui venait, son fiancé Hamidou…

Puis, un remue-ménage se fit, un speaker annonça l’imminence d’un atterrissage, le sourire se ranima sur le visage de Zeinab et des siens, en même temps que l’excitation des dernières heures de la famille.

Se servant de l’une des glaces de la baie vitrée comme miroir, Zeinab  retoucha sa toilette et se mit à mâcher une gomme au parfum de menthe.

L’avion atterrit, les formalités se firent, toutefois légèrement plus longues que d’habitude, perceptiblement nerveux, Hamidou reprit ses bagages et sortit, sa fiancée le reconnut et ils s’étreignirent de longues minutes durant. La belle, dans sa bulle d’amour, en avait même oublié les précautions les plus basiques, ce qui ne manqua pas d’étonner son entourage.

Puis, chaque membre de la maisonnée eut droit à son accolade et à une franche poignée de main avant que le groupe ne prit la route de la maison familiale des Bah à Lambangel.

Le repas fut convivial ce soir et surtout copieux, la chaleur du partage  était telle que pas un ne remarqua que l’invité d’honneur toussait régulièrement et avait un visage fébrile et laiteux, même s’il n’y laissait rien paraitre.

Il prétendait que l’air conditionné de l’avion était coupable de son état et qu’il n’avait jamais pu s’en acclimater, bien qu’il ait beaucoup voyagé.

Les deux jours  d’après, Hamidou les passa quasiment en compagnie de Zeinab avec qui il alla dédouaner sa voiture au port, Zeinab à qui il fit aussi la surprise de conduire à sa maison dont personne ne connaissait l’existence et qui sera bientôt le nid d’amour du couple.

Puis, Hamidou prit la route de Dabé, sa ville natale. Pour ne pas voyager seul, il embarqua deux passagers pris en bordure de route et voulant se rendre dans la même direction.

La veille, sur insistance de sa fiancée, il s’était soumis au test de dépistage du Covid-19, seule fausse note, les résultats prenaient des jours à sortir et pendant ce temps d’attente, aucune mesure n’empêchait le préposé de circuler, voilà pourquoi sans attendre ses résultats, Hamidou avait roulé vers Dabé.

Au centre urbain de Dabé, sa seule halte fut quand il débarquait ses deux passagers.

Après cette halte d’une dizaine de minutes, Hamidou prit le chemin de Ganni son village situé à 12 km du centre urbain et où vivent tous les siens.

A Ganni, la nouvelle de l’arrivée d’Hamidou se répandit comme une trainée de poudre et sa concession familiale devint vite un lieu de pèlerinage vers lequel convergeait parents, amis et alliés.

Chacun voulait voir, toucher ou embrasser l’enfant prodige et ce fut ainsi pendant quatre jours.

Cependant durant les 4 jours de son séjour, la fièvre qu’il trainait depuis des jours empira et le bonhomme dut même garder le lit.

Contre sa volonté cartésienne, sa famille paniquée, lui fit même boire des décoctions censées lutter contre le mauvais œil, car pour eux villageois, il ne pouvait s’agir que de l’œuvre maléfique de quelque jaloux qui en voulait à la fortune d’Hamidou.

Devant la persistance de la maladie, Hamidou se rendit de son propre chef au centre de santé, où une ordonnance lui fut délivrée.

Le diagnostic effectué indiquait un palu, comment aurait-il pu en être autrement ?

A l’échelle régionale même, on ne disposait pas encore de dispositifs de détection du coronavirus, tout suspect devait être acheminé à Kanaky pour le test, chose qui coutait beaucoup de temps et d’énergie.

C’est d’ailleurs le même jour qu’aux autorités sanitaires de la région fut communiqué le bulletin de santé du sieur, positif, lui avait signifié le président du district sanitaire au téléphone et une équipe avait été dépêchée pour aller le chercher et le conduire au centre de traitement de Kanaky.

On travailla aussi à identifier ses contacts locaux au nombre de 80 dont l’agent qui l’avait reçu au centre de santé de Ganni et ceux de Kanaky, au nombre de 15 parmi lesquels, la belle fiancée.

Hamidou fut conduit à Kanaky au centre de traitement du CHU Ronka où, il reçut des soins, ses contacts de Ganni furent confinés chacun à son domicile et par chance pas un, au terme des deux semaines ne souffrait du méchant virus.

A Kanaky, parmi les contacts d’Hamidou, seule la belle Zeinab avait été diagnostiquée porteuse du coronavirus et elle avait suivi le traitement comme lui, et avait comme lui vaincu la « sorcière à la couronne ».

A leur sortie, du centre de traitement, Hamidou et Zeinab prirent la décision de se marier dans la  sobriété et utilisèrent les fonds qu’ils destinaient à célébrer pompeusement leurs noces en faveur de la sensibilisation des couches sociales les plus vulnérables.

                                                      Fin

Étiquettes
Partagez

Commentaires